La théorie de l’aquarium.

Dans ma jeunesse, j’ai passé pas mal de temps à Paris. J’ai fait une partie de mes études universitaires à Marne-la-Vallée, et pendant ce temps là, j’habitais près de la Tour Eiffel.

Plusieurs fois, avant et après ma période d’études, je suis allé visiter la ville.

J’aime aussi visiter les différentes régions de France: j’ai notamment une prédilection pour la vallée du Rhône et pour le littoral languédocien. Et dans le cours de mes pérégrinations, j’ai connu pas mal de parisiens.

Comme résultat de ces habitudes, je connais pas mal de parisiens: chaque fois que j’allais à Paris, j’avais toujours des amis à retrouver et des soirées auxquelles j’étais invité.

Malgré cette proximité, j’ai toujours eu un problème à comprendre les parisiens: rien de grave, mais il y avait toujours une sensation bizarre. On faisait des longues discussion philosophiques autour d’un verre de vin, et ils arrivaient toujours à des conclusions qui ne collaient pas à ma vie de provincial. Vice-versa, quand je sortais mes conclusions, j’avais toujours droit à des regards intérrogatifs.

Un groupe de parisiens qui discute d’un de ses sujets préférés: les droits des minorités.

Avec les parisiens, on discutait pendant des heures sur les sujets plus divers, sans jamais arriver à une conclusion. On parlait pendant des heures de la condition féminine, des droits des homosexuels, de la situation économique des arabes de Saint-Dénis, des gens de Neuilly-sur-Seine qui mangaient trop de viande et avaient des voitures trop grandes, et la discussion tournait toujours en rond. Pour chaque problème, il y avait un élément qui empêchait une quelconque solution (et dans la plupart des cas, cet élément perturbateur habitait à Neuilly-sur-Seine).

Et quand je faisais la remarque que j’avais une famille LGBT et multi-culturelle, et que au final on faisait une vie simple et heureuse, avec un travail honnête et des dimanches de fête, ils me regardaient comme un extra-terrestre, qui probablement ne connaissait pas Neuilly-sur-Seine et son concentré de méchancété.

Les habitants de Neuilly-sur-Seine, prêts à mettre en pratique leur plans maléfiques.

Ce tourner en rond des parisiens, est du à celle qu’on pourrait appéler:

La Théorie de l’Aquarium.

Dans un aquarium vous avez une partie inférieure, qui réproduit avec quelques licences poétiques un environnement naturel. Et une partie supérieure, qui contient toutes les machines qui permettent à l’aquarium de fonctionner, et de tenir en vie les poissons: des machines qui purifient l’eau, des autres qui éliminent les déchets, des autres encore qui oxigènent le tout et des autres machines qui versent de la nourriture à des horaires prédéterminés.

Les poissons vivent dans la partie inférieure de l’acquarium, et font leur petite vie sans trop se soucier de ce qui se passe dans la partie supérieure. Leur vie est même assez tranquille. Ils n’ont même pas besoin de chasser: leur nourriture arrive toujours ponctuelle, tous les jours à la même heure, livrée par la machine qui tourne au dessus de leurs têtes.

Les poissons de l’aquarium peuvent aussi passer leur temps à se faire beaux et à se battre entre eux. De toute façon, quoi qu’ils fassent, leur nourriture tombe toujours à l’heure.

La vie des poissons est tranquille jusqu’à que une des machins arrête de fonctionner. Tout d’un coup l’eau devient sale, la nourriture cesse d’arriver, et les poissons meurent tous en très peu de temps.

Au delà d’une certe taille, les villes fonctionnent comme des aquariums.

Pour vous, Paris est celle-ci.

Vous avez votre appartement dans un arrondissement périphérique, votre travail dans un arrondissement plus central. Vous avez votre supermarché habituel, votre café préféré, un parc près de chez vous pour les journées de soleil. Votre travail peut être dur, mais le salaire tombe tout le mois et cela vous permet de vous octroyer quelques petits plaisirs (notamment celui de faire des longues discussions phylosophiques autour d’un verre).

Paris est un environnement totalement artificiel. Pour que la ville puisse fonctionner, il y a tout une série d’infrastructures qui doivent fonctionner 24 heures sur 24: Le Métro:

Le Marché de Rungis:

Les camions poubelle:

Et plein d’autres services, tels que les eaux potables, l’énergie électrique, la voirie, les jardiniers, la police, qui font de manière à que la ville puisse tourner et être un lieu agréable pour tout le monde.

Et il suffit de peu pour que tout le système périclite.

En 2020-2021 nous avons eu l’exemple de ce qui arrive lors que les services vitaux pour les grandes villes arrêtent de fonctionner: les cafés et lieux culturels qui ferment, les parcs interdits d’accès, le couvre-feu à 18h (ce qui implique de passer plusieurs heures dans des studios de 9-10 m2), l’interdiction d’aller à plus de 10 km du domicile (donc l’impossibilité de sortir de la ville et de son espace totalement artificiel), l’obligation de porter un masque, l’interdiction des rassemblements…

Du coup, la ville devient un lieu hostile et difficile à vivre, où la survie au quotidien devient un combat.

J’ai passé la crise de 2020-2021 à la campagne, et je n’ai presque rien senti. À la campagne, la plupart des intéractions se font de manière informelle: les soirées se font chez les uns ou chez les autres, les transports se font à pied ou à vélo, la nature sauvage est toujours à portée de main, et les effets d’une éventuelle interruption des services publics peuvent être facilement compensés.

Une ville-aquarium offre des meilleures opportunités, mais elle est plus fragile face aux crises.

Si vous cherchez un bon travail et une vie stimulante, il faut aller dans les grandes villes: Paris, Londres, Dubai, Milan, New York. Mais il faut savoir que la vie dans ces villes est fragile, et il faut être prêts à partir dès que une crise se présente.

Dans une ville-aquarium, les habitants sont coupés de la réalité.

Dans une ville-aquarium, la réalité est toujours filtrée par les services publics et les opérateurs privés. Les déplacements dépendent de la qualité du service du métro, la salubrité de la ville dépend de l’efficacité des éboueurs, et la beauté du lieu dépend de l’efficience des jardiniers. Donc, si quelque chose ne fonctionne pas, c’est toujours parce que quelque service ne fonctionne pas comme il devrait.

De plus, dans une ville-aquarium on voit toujours un petit bout de chaque processus, mais pas le processus tout ensemble. On voit que la nourriture est sur les bancs du supermarché, mais on ne sait pas comment elle y est arrivée. On voit que les camions poubelle recoltent les déchets, mais on ne sait pas où ils l’amènent. On voit les arrêts du métro, mais on ne sait pas ce qui se passe dans les tunnels et dans les dépôts.

Dans les villes-aquarium, les relations sont codifiées.

Les villes-aquarium ont souvent une population de plusieurs millions de personnes. Par conséquence, la plupart des intéractions se font entre des gens qui ne se connaissent pas. Soit les gens s’évitent, comme dans le métro ou dans certaines rues du centre-ville, soit les gens ont de relations très formelles, comme dans les commerces situés dans les centres commérciaux. Les relations suivies entre les gens restent rares.

Vice-versa à la campagne, la plupart des intéractions sont informelles: dans un village de 5000-10’000 habitants, on tombe facilement sur quelqu’un qu’on connait déjà, et même les intéractions commerciales se font avec des gens qu’on connaît.

3 réponses à « La théorie de l’aquarium. »

  1. […] des technologies traditionnelle, mais en polluant dans des manières diverses et variées. Et même le progrès social devient déconnecté de la réalité: on se dit que le monde ira mieux en appelant les gens « iel » et […]

  2. […] des technologies traditionnelle, mais en polluant dans des manières diverses et variées. Et même le progrès social devient déconnecté de la réalité: on se dit que le monde ira mieux en appelant les gens « iel » et […]

  3. […] y a pas mal de personnes qui, bien avant mon article sur la théorie de l’aquarium, avaient fait quelques pas pour sortir de cet environnement hautement artificialisé. Ils avaient […]

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