Il y a quelques semaines, j’étais en balade en montagne, avec une amie.

C’était un sentier assez raide, avec quelques points assez techniques et quelques pentes assez dangereuses.  Et au bout du sentier, juste avant de rentrer à nouveau dans la civilisation, il y avait un autel, avec une image du Christ.

J’ai fait un petit rituel devant l’autel pour remercier Dieu (ou l’Univers) de nous avoir fait arriver tous entiers à la fin du chemin. Mon amie a observé mon rituel, m’a posé quelques questions, et ça a été l’occasion de démarrer une discussion sur Dieu et la religion, discussion qui a débouché sur une question intéressante:

Maintenant que nous avons la Science, à quoi sert la religion?

Après moultes réflexions, je peux donner la réponse.

• La science sert à expliquer le monde physique. 
• La religion sert à donner un sens à la vie.

J’avais parlé là et là de l’importance d’avoir un but dans la vie. Si on a un but, on garde une stabilité face aux aléas de la vie, et on peut garder son moral même dans les situations les plus difficiles.

La religion sert justement à cela. Si on ne veut dédier beaucoup de temps à chercher un but dans la vie, on peut adhérer à une religion et trouver un sens de la vie tout prêt.

La science, au contraire, sert à expliquer le monde autour de nous.  Grâce à la science, on peut découvrir plein de choses intéressantes: planètes, galaxies, nouvelles technologies, la cure pour plein de maladies…

Par contre, la science est neutre. Elle ne juge pas les gens, et ne prétend pas vouloir donner un sens à leur vie.

Science et religion vivent bien l’une à côté de l’autre quand chacune des deux joue son rôle sans envahir le champ de l’autre. C’est justement quand la religion et la science essaient d’envahir chacune le champ de l’autre qui commencent les problèmes.

Jusqu’au 18ème siècle, c’était la religion qui envahissait le champs de la Science. En 6 jours, Dieu avait créé l’Univers, la Terre, les Animaux, l’Homme. À partir du 8ème jour (le 7ème était férié) et pendant les 5778 ans qui le separent de notre époque, il s’est suivie une généalogie de Patriarches, Juges, Prophètes, Apôtres et Papes, qui continue ininterrompue jusqu’à ce jour.

Toutes découvertes scientifiques qui auraient été en contraste avec cette généalogie auraient pu mettre en péril la continuité entre l’Église et Dieu. Il fallait donc les éradiquer.

Depuis le 19ème siècle, c’est l’envers. Face à toutes les découvertes scientifiques des derniers siècles, la religion a perdu beaucoup de son pouvoir, et la science a rapidement comblé le vide. C’est ainsi qu’est né le Matérialisme Héroïque, la Religion du Progrès.

L’idée de base du Matérialisme Héroïque est que:

Pour tous tes problèmes, la Science trouvera une solution.

De ce postulat dérive toute une théologie:

• Le Scientifique est le nouveau prêtre. C’est lui qui, dans son laboratoire secret, travaille pour donner à l’Humanité les solutions à ses maux.
• La Science peut tout résoudre, même dans les domaines en dehors de la Physique, de la Chimie et de la Biologie. Même pour soigner les maux de l’âme, il y a une science, la psychologie.
• Il n’y a pas d’autre Dieu en dehors de la Science. Chercher des solutions en dehors de la Science est le Sacrilège Ultime.
• Le Passé est l’Enfer. Dans le passé on vivait mal, on travaillait dur, on mangeait peu, et on mourait des pires maladies.
• Le dernier cercle de l’Enfer est le Moyen Âge. Au Moyen Âge, on torturait les gens à longueur de journée, surtout les gens intelligents (ceux qui auraient pu faire triompher le Progrès au Moyen Âge).
• Le Futur est le Paradis: un nouveau jardin d’Eden où il y aura des voitures volantes, des téléphones de dernière génération, et on aura inventé la cure contre la vieillesse.
• La déclaration de foi du matérialisme héroïque est « WOW ». On prononce la syllabe sacrée « WOW » quand le Scientifique sort de son laboratoire avec sa dernière découverte.

Ci-dessous, quelques exemples de liturgie où on prononce la sacrée syllabe « WOW ».

Description cinématographique de l’invention de la Machine à Remonter le Temps.

Le miracle de Windows.

L’ostension de l’iPhone.

Le Matérialisme Héroïque a grandement contribué à améliorer nos vies, mais commence à montrer ses limites.

Un premier limite est quand il prétend vouloir résoudre avec la Science des questions qui avec la Science n’ont a voir.

Un premier exemple qui montre cette limite est la Psychologie, avec l’idée qu’on puisse réparer l’être humain comme on répare une voiture: on trouve l’épisode de la vie qui pose problème, et on le répare.

Un deuxième exemple des limites de la science est l’écologie: l’idée que la science puisse décider ce qui est bien et ce qui est mal.

Un troisième exemple des limites de la science est l’application de la technologie dans des domaines qui en auraient nullement besoin (créant au passage pas mal d’inconvénients pour plein de monde).

Ci-dessous un exemple venant du Sancta Sanctorum du Matérialisme Héroïque, San Francisco:

La deuxième limite de la science est de vouloir substituer la beauté, l’art et la recherche du plaisir avec l’efficacité et la technologie.

Une société basée sur l’efficacité et la technologie est celle-ci:

Tandis que une société basée sur la beauté, l’art et la recherche du plaisir serait plutôt comme celle-ci:

Un troisième problème est que beaucoup de solutions proposées par le Matérialisme Héroïque sont moins fiables de leur contreparties pré-modernes.

Un exemple, tristement d’actualité sont les ponts:

Un autre exemple sont les téléphones:

Il est donc temps de sortir du Matérialisme Héroïque. Pour cela, il sera nécessaire de:

• Remettre la science à son rôle d’outil pour la connaissance du monde, sans lui attribuer aucun rôle salvifique.
• Cultiver des autres sources d’inspiration à côté de la science et de la technologie, telles que l’art, la religion, et la recherche du plaisir.
• Ne pas avoir peur du passé, et se donner la liberté de l’utiliser comme ressource pour résoudre les problèmes d’aujourd’hui.

Pour aller plus loin sur ce sujet, je vous conseille deux lectures:

• « Life after Heroic Materialism » de Nathan Lewis
• « En finir avec la Religion du Progrès » traduction d’un article de John Michael Greer.