En ce moment, je participe à beaucoup de discussions sur la densification. La population suisse continue à augmenter, il y a une envie de garder les sols agricoles, donc la seule solution semble être la densification des zones moins denses, notamment des quartiers suburbains construits entre 1950 et 1990.
Jusqu’à là, cela semble un raisonnement cohérent. Mais dès que on commence à sonder l’opinion des habitants de ces mêmes quartiers suburbains, on obtient une opposition presque unanime à tout projet de densification.
En fait, lors que un processus de densification démarre, le résultat est souvent celui-ci:

ou, dans les cas les plus heureux, comme celui-ci:

Tandis que, dans les souhaits des propriétaires concernés (voir par exemple, ici à la page 16 ou ici à la page 13), une zone suburbaine densifié devrait plutôt ressembler au Vieux Carouge:



Donc, une densification bien réfléchie devrait pouvoir permettre de transformer un quartier suburbain quelconque en une réplique du Vieux Carouge.
Allons donc voir plus en détail l’organisation urbaine du Vieux Carouge.
Les éléments caractéristiques du Vieux Carouge sont:
- COS: 0.53
- CUS: 1.20
- 3 niveaux max + combles
- Largeur des rues: 12 m
- Alignement des bâtiments le long des rues
- Bâtiments en ordre contigu.
- Réseau routier en forme de grille
Ce qui donne comme résultat le plan ci-dessous.

Pour un quartier suburbain type nous aurons un règlement comme celui-ci:
- COS: 0.20
- CUS: 0.30
- 2 niveaux + combles
- Bâtiments en ordre non contigu
- Distance aux limites de 5 m.
Et une trame routière avec:
- Largeur des rues: 15 m (rue principale), 5 m (rues secondaires)
- réseau routier en forme de peigne
Ce qui donne une configuration comme celle ci-dessous.
Dans un premier temps, nous pouvons commencer à densifier sur la structure actuelle: on garde la distance de 5 m à la limite de propriété, on augmente le COS à 0.25, le CUS à 0.6, la hauteur à 3 niveaux + combles, et nous aurons un règlement comme celui-ci:
- COS: 0.25
- CUS: 0.60
- 3 niveaux + combles
- Bâtiments en ordre non contigu
- Distance aux limites de 5 m.
Pour une densité plus haute, nous devrons changer de modèle, sinon nous finirons pour nous retrouver avec une zone villas hypertrophiée, avec des grands bâtiments au milieu des parcelles, des vis-à-vis presque partout, un réseau routier insuffisant…
Nous allons donc y intégrer des éléments du Form-Based Code.

Le Form-Based Code est une technique de planification urbaine qui permet d’avoir une plus grande maîtrise de la forme urbaine par rapport à une planification standard. La planification standard définit uniquement la surface constructible, la hauteur des bâtiments et la distance aux limites, tandis que le Form-Based Code définit également l’interaction entre les bâtiments et l’espace public.

Allons donc appliquer le Form-Based Code à notre quartier en voie de densification.
Pour commencer, prenons le réseau routier. Nous devrons arriver à avoir un réseau interconnecté, avec des rues de 12 m de large et une organisation en îlots. Pour ce faire:
- dans les ruelles existantes, prenons un espace de 6 m de part et d’autre de l’axe de la rue: cet espace définira nos nouveaux alignements.
- entre deux rues, prenons une bande de 12 m de large, axée sur une limite entre deux parcelles, en essayant de rester au maximum en dehors des limites de construction, et de ne pas prendre des bâtiments dans cette bande. La bande ainsi créée définira également des nouveaux alignements.
- l’espace-rue créé par cette opération sera soit cédé au domaine public, soit grévé par une servitude de passage publique.
De plus, nous allons créer deux alignements:
- le premier, à la limite entre l’espace constructible et l’espace public, pour tous les bâtiments avec rez-de-chaussée commercial.
- le deuxième, à 4 mètres du premier alignement, pour tous les bâtiments avec rez-de-chaussée résidentiel. Dans ce cas, l’espace entre les deux alignements sera végétalisé et utilisé comme espace tampon entre les bâtiments et la rue.

Le résultat de cette opération est dans l’image ci-dessous. En vert le nouvel espace-rue.
Maintenant, passons au règlement de construction. Nous ferons une densification sans plan de quartier, donc il faut imaginer que pas tout le monde construira au maximum, et pas tout le monde construira au même temps. Il faut donc garder une marge de manœuvre pour arriver à la densité voulue même si tout le monde ne construit pas au maximum. Pour arriver à un CUS de 1.2 à l’échelle du quartier, nous aurons comme objectif une densité maximale de 1.6.
Et le règlement de construction sera ainsi modifié:
- COS: 0.50
- CUS: 0.60
- 3 niveaux + combles
- Bâtiments en ordre non contigu
- Distance aux limites de 5 m, s’il n’y a pas d’alignement.
- ou alignement:
- à la limite de la rue, pour les bâtiments avec rez-de-chaussée commercial.
- à 4 m de la rue, pour les bâtiments avec rez-de-chaussée résidentiel.
Puis introduisons des bonus de densité. Le CUS sera augmenté de:
- 0.35, pour les bâtiments en ordre contigu sur l’alignement, sur un seul côté. (on peut mettre en place une structure pour favoriser les conventions de contiguïté entre voisins)
- 0.70, pour les bâtiments en ordre contigu sur l’alignement, sur les deux côtés.
- 0.20, pour les bâtiments avec rez-de-chaussée commercial, alignés sur rue.
- 0.10, pour les bâtiments à haute performance énergétique (Minergie ou CECB A, B, C)
Faisons quelques exemples:
- un bâtiment Minergie, contigu sur un côté et aligné sur rue avec rez-de-chaussée commercial aura un CUS de 0.60+0.35+0.20+0.10 =1.25
- un bâtiment avec des performances standard, contigu sur les deux côtés et aligné en retrait avec rez-de chaussée résidentiel aura un CUS de 0.60+0.70 = 1.30
- un bâtiment Minergie, en ordre non contigu, aligné sur rue avec avec rez-de-chaussée commercial aura un CUS de 0.60+0.20+0.10 = 0.90
Après quelques années, le résultat est dans l’image ci-dessous. En jaune les bâtiments démolis, en rouge les nouvelles constructions, en noir les constructions inchangées.
Et voici le résultat en 3D:
[…] par cage d’escalier, et une densité de 15’000 habitants/km2 (c’est notamment la densité du Vieux Carouge). La densité est assez haute pour permettre la survie des services de base, et la taille des […]
[…] Source: http://ville-nouvelle.net/2015/10/21/recreer-le-vieux-carouge/ […]
Quand je parle de « commerce » j’entend plutôt « local commercial »: un local qui peut héberger des types différentes d’activités: pharmacie, boulangerie, espace culturel, ateliers créatifs de tous genres…
L’affectation définitive de ces locaux ne dépendra pas du plan d’urbanisme (ce qui était le sujet de cet article), mais plutôt de la gestion de chaque espace. Et pour être plus précis, ça dépendra surtout du loyer du local commercial: des loyers très hauts attireront des commerces de luxe, des loyers moyens attireront des commerces de proximité, tandis que des loyers bas attireront des activités culturelles et artisanales, ainsi que les commerces « tout à 1 franc ». D’ailleurs, la présence dans le coin de commerces « tout à 1 franc » est un bon indice pour déterminer la viabilité d’un espace culturel: un exemple dans ce sens est le quartier entre l’avenue d’Échallens et l’avenue de Morges à Lausanne, où les rez-de-chaussée sont partagés à parts égales entre commerces vieillots et espaces créatifs.
Et venons à la dernière question: Est-ce que je propose des espaces créatifs dans mes projets? bien sûr que oui! Si vous allez dans le canton de Fribourg, faites un saut à la Maison Verte de Romont (http://maison-verte.ch): c’est exactement le type de lieu dont vous rêvez! 🙂
Merci d’avoir pris le temps de répondre !
Et si au lieu de commerces à proprement parlé, vous ouvriez des espaces culture avec ciné-club, café philosophique, ateliers créatifs divers, bibliothèque etc. ça donnerait un sérieux coup (et non : coût !) culturel et une nouvelle appélation de quartier dit : « intelligent » ! Vous ne proposez jamais cela à vos clients ?
Imaginez tout un quartier culturel ! Ca amènerait une population nouvelle, avec bien sûr petits cafés, boulangerie, pharmacie, mais pas trop !
Bonne journée, et merci de lire la description d’un quartier que j’aimerais voir naître ! (bien que vivant à Lausanne près du lac !)
Justement, je cherche à créer un règlement qui permet de créer, ou pas, des commerces au rez-de-chaussée d’un bâtiment, selon les souhaits des propriétaires et selon la conjoncture. Si on veut ouvrir un commerce au rez, on alignera le bâtiment sur la limite de construction, tandis que si on veut pas de commerces au rez, on reculera le bâtiment de 3-4 mètres. Le bonus de densité pour des commerces au rez sert à permettre la construction d’un commerce dans un deuxième temps en cas de variations de la conjoncture.
Onex, la cité nouvelle : quelle horreur !
[…pour tous les bâtiments avec rez-de-chaussée commercial.] : mais partout les commerces finissent par fermer et cela devient des zones sinistrées avec ouvertures èphémères de commerce « tout à 1 franc », sommes-nous vraiment à une époque d’ouvertures de commerces alors que le pouvoir d’achat de la population est chaque année moindre ?
Merci de me donner votre avis, ou plutôt le pourquoi.
Dominique