Pourquoi tant de projets d’écovillage échouent?

Ces dernières années j’ai participé à plusieurs projets de création d’écovillages et communautés intentionnelles, et j’ai vu pas mal de projets échouer: au bout de quelques mois seulement, les discussions s’enlisent,  les lieux communautaires se vident, et de plus en plus de personnes abandonnent le projet.

C’est donc arrivé le moment de faire un petit bilan, pour répondre enfin à la question:

Pourquoi tant de projets d’écovillage échouent?

Pour répondre à cette question, allons examiner une des caractéristiques des écovillages, la communauté.

Dans l’image classique des écovillages, la communauté est un cercle fermé, de 50-150 personnes (une taille du groupe que permet de garder des relations informelles entre ses membres), qui vivent et travaillent ensemble dans une relative autosuffisance. Cette configuration devrait amener le maximum de bonheur aux membres de la communauté, en assurant à la fois un revenu et de l’épanouissement dans un environnement bienveillant.

Dans la réalité, les membres de la communauté se comportent selon des autres critères: allons les examiner en détail.

1. Faire son marché.

(source image)

L’arrivée de nouvelles personnes dans la communauté engendre souvent de grands espoirs parmi les anciens membres, espoirs que sont rapidement déçus.

Au début, les nouveaux arrivés sont très enthousiastes, toujours prêts à s’impliquer dans la vie de la communauté et à donner un coup de main. Ils fréquentent habituellement les lieux communs et engagent plein de discussions avec les autres membres de la communauté.

Quelques mois plus tard, ces mêmes personnes montrent tout un autre visage: ils s’impliquent le moins possible dans la vie communautaire, font le minimum indispensable de travaux communs, désertent les lieux communs et engagent très peu de conversation avec les autres membres des la communauté, mis à part 2-3 personnes (souvent, des autres nouveaux, arrivés au même temps que eux). Ils continuent quand même à payer leur loyer, à investir leur espace de vie et à vouloir rester dans le lieu.

Ce que les anciens du lieu croyaient être de l’enthousiasme de part des nouveaux, était plutôt une phase d’observation: à travers ce surplus d’interaction, les nouveaux venus étaient en train de tester l’ambiance, et cherchaient à découvrir quel était le type de relation à entretenir avec chacun des autres membres de la communauté. Une fois que ces liens se sont stabilisés, ils n’ont plus besoin de la communauté, et leur engagement se réduit.

2. Le Réseau.

Si dans l’imaginaire collectif, une communauté ressemble à ça:

7698510740_bf1d393773_h
(source image)

Dans la réalité, elle ressemble plutôt à ça:

2296276913_d5b0850162_o
(source image)

La communauté, qui depuis l’extérieur pouvait ressembler à quelque chose d’uniforme, est en réalité composé d’un multitude de relations très différentes entre elles. On y trouve des liens forts: un très grand groupe de personnes moyennement interconnectés (le groupe rouge-vert en bas de l’image) et un petit groupe dont les membres sont très connectés entre eux, et très faiblement connectés avec le reste de la communauté (le groupe bleu en haut). On y trouve aussi des liens faibles: des personnes faiblement connectées à la communauté, avec la plupart de leur liens tournés vers l’extérieur (les points épars en haut à droite).

La comprésence de liens forts et liens faibles est ce qui fait la force d’un groupe: les liens forts garantissent la cohésion du groupe, tandis que les liens faibles garantissent l’accès à des ressources extérieures. Dans la plupart des projets d’écovillages, les liens forts sont valorisés, à détriment des liens faibles: comme conséquence, le renouvellement du groupe devient de plus en plus difficile, et la communauté se réduit peu à peu.

3.La désempathie professionnelle

Un des piliers de la vie des écovillages est la correspondance entre la vie du groupe et la vie professionnelle des différents membres: dans l’idéal, tous les membres de l’écovillage devraient pouvoir travailler uniquement dans la communauté, et obtenir de la communauté les ressources dont ils ont besoin.

Comme nous avons vu dans le point précédent, la comprésence de liens forts et faibles est nécessaire à la vie du groupe.

  •  Les liens forts servent à garantir la cohésion du groupe. Ils sont nécessaires surtout dans la sphère familiale et affective.
  • les liens faibles servent à accéder à des nouvelles ressources: par exemple, des nouveaux fournisseurs ou des nouveaux clients. ils sont nécessaires surtout dans la sphère professionnelle.

Le succès professionnel de chacun dépend donc du nombre de liens faibles qu’il arrive à tisser: plus de lien faibles il a, plus de clients il arrivera à trouver et meilleure sera la qualité de ses fournisseurs.

Travailler uniquement pour la communauté équivaut à vouloir baser sa vie professionnelle uniquement sur les liens forts. la procédure pour acquérir des nouveaux clients deviendrait énormément contraignante (on devrait par exemple connaître – et approuver – toutes les idées politiques et sociales du boulanger du coin avant de pouvoir acheter son pain chez lui), et finalement briderait toutes possibilités d’établir et faire grandir une entreprise.

Pasteleria_Fantoba_Zaragoza_3

Une boulangerie pleine de gourmandises: avez-vous vraiment besoin de connaître la vie et les idées politiques du boulanger avant d’acheter votre pain chez lui? (source image)

4. L’Agglomération.

Si on observe la structure compacte d’un village ou d’un quartier, on pourrait imaginer que cette structure soit le produit d’un lien fort entre les différents habitants du village.

À un examen plus détaillé, on peut remarquer que, pour obtenir cette structure compacte, il n’est pas nécessaire que les différents acteurs soient d’accord entre eux: tout simplement, chacun essaie de prendre la décision la plus logique pour lui-même, et de profiter un maximum des choix de ses voisins.

Prenons comme exemple la Via Tiburtina à Rome, dont je vous avais parlé il y a quelques temps:

tiburtina-commercio

On observe clairement que les commerces (en bleu, jaune, rouge et vert) se concentrent le long des routes, avec une préférence pour les carrefours, en créant une série de petits villages.

On peut modéliser cette croissance comme ça:

  • au carrefour de deux routes, une série d’immeubles est construite. les habitants s’arrêtent au carrefour pour rentrer chez eux.
  • Un petit commerce (café, boulangerie) ouvre au carrefour, espérant intercepter ce flux de piétons.
  • Stimulé par ce petit commerce, le flux de piétons augmente légèrement.
  • Un deuxième commerce ouvre, espérant intercepter ce flux croissant.
  • avec deux commerces, ce carrefour devient plus attractif, et le flux de piétons augmente.
  • Un troisième commerce ouvre, le flux augmente encore, un quatrième commerce s’ajoute et ce cycle continue à l’infini.
  • Au bout de quelques itérations, un village s’est créé.

Maintenant que nous avons reconnu ces dynamiques, comment pouvons-nous créer un projet d’écovillage résilient?

La réponse dans le prochain billet.

3 commentaires

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s