Genève – Le PLQ bien tempéré: le remaniement parcellaire

Depuis quelques semaines, je m’intéresse à la question de la densification. À Genève, densification semble être devenu un vilain mot. Dans des autres villes, les propriétaires font tout ce qui est en leur pouvoir pour pouvoir densifier leur parcelle (y compris s’introduire de nuit dans les locaux du service de l’Urbanisme pour corriger à la main les plans d’affectation de la ville), tandis que à Genève les propriétaires font tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher la densification.

Comment on est arrivé à ce blocage? Allons examiner la situation plus en détail.

À Genève, il y a pas mal de zones villas qui ont été rattrapées par la ville. Autrefois en périphérie, ces zones villas se retrouvent aujourd’hui entourés de nouvelles constructions, proches des transports publics et des services de proximité. L’idée de densifier ces zones pour y loger davantage de population semble la plus logique: davantage d’habitants peuvent utiliser les services publics existants, on utilise le sol de la manière la plus rationnelle, et les propriétaires peuvent valoriser leurs terrains.

Pour ces zones, l’état propose donc un déclassement, de la zone 5, à la zone de développement 3.

  • La zone 5 permet l’édification de petits bâtiments de 2-3 étages, tandis que la zone 3 permet l’édification de bâtiments de 6-7 étages. Pour les propriétaires, cela équivaut à doubler leur possibilités de construction. C’est donc plutôt une bonne nouvelle.
  • La zone de développement oblige les propriétaires à réaliser 25-30% de logements d’utilité publique, ou de céder à l’état 25% de la surface de la parcelle, pour réaliser des logements publiques. C’est une moins bonne nouvelle pour les propriétaires, mais on peut toujours concevoir des jolis projets (il y a notamment des coopératives comme La Smala ou Le Bled, qui font souvent ce type d’opérations).
  • Dans la zone de développement, on a l’obligation de réaliser un PLQ, plan localisé de quartier. Et ceci ce n’est pas une bonne nouvelle, car dans la plupart des cas, un PLQ ressemble à ça:

Projet Etat
PLQ des Semailles au Grand-Lancy: la tabula rasa (source image). Plus d’infos sur ce plan sont disponible sur le site de l’état de Genève. Le plan couvre la portion de territoire indiquée ici.

La plupart des PLQ fait tabula rasa de l’état actuel du territoire qu’ils règlent: les nouveaux immeubles sont implantés sur le territoire indépendamment du parcellaire existant, et un nouveau parcellaire est dessiné autour des nouveaux immeubles.

Donc, pour que le PLQ soit réalisé, il faut que tous les propriétaires soient d’accord (ou qu’ils soient convaincus d’une manière ou d’une autre) à démolir leur bien, remanier leur parcelle, et construire selon le nouveau plan. C’est très rare que tous les propriétaires  soient d’accord à mettre en œuvre un PLQ: dans la grande majorité des cas, les propriétaires font recours contre le plan, et les procédures s’étendent sur des dizaines d’années. L’opposition aux PLQ ne vient pas d’une prétendue méchanceté des propriétaires, mais plutôt du cycle de vie des villas.

Les villas ont généralement un cycle de vie de 30 à 40 ans, qui se déroule en différentes phases:

  1. Un couple âgé de 25-35 ans, avec enfants en bas age, achète une villa, pour donner aux enfants un espace où jouer dehors. Appelons ça le moment T0.
  2. Les enfants ont grandi et ont quitté la maison. Les parents travaillent toujours et accueillent les enfants de temps à autre dans le jardin familial. Dans cette phase, les gens sont peu disposés à vendre leur maison, mais ils peuvent facilement la transformer pour l’adapter à leurs nouvelles exigences, notamment par la construction d’un logement supplémentaire. On est à T0+25 ans
  3. Les parents sont à la retraite, et décident de vendre le domicile familial, désormais devenu trop grand, pour financer leur retraite et avoir une rentrée d’argent supplémentaire. Fin du cycle à To+35 ans.
  4. Dans un autre cas, les parents décident de profiter de leur villa jusqu’à la fin de leurs jours.  à leur décès, les enfants héritent de la villa: souvent ils en ont plus besoin (ils ont souvent déjà une famille, et ils ont fait leur vie ailleurs), et décident de la vendre. Fin du cycle à To+45 ans.

Si au début, tous les propriétaires d’un lotissement de villas sont dans la même phase de la vie (famille avec enfants en bas âge), les parcours de vie divergent vite: après 50-60 ans (l’âge moyenne des lotissements de villas) on peut facilement trouver des familles dans tous les phases de leur vie. Donc, au moment de proposer un PLQ, nos nous trouverons devant nous plusieurs cas de figure:

  • la famille avec enfants, qui veut conserver la villa jusqu’au départ de ces derniers,
  • le couple proche de la retraite, qui est intéressé à construire dans des brefs délais,
  • les retraités, qui veulent garder leurs villas jusqu’à la fin de leurs jours.
  • les héritiers, qui veulent construire tout de suite.

Mettre d’accord ces 4 catégories de personnes est pratiquement impossible: chaque catégorie a ses attentes et ses projets et, dans tous projets impliquant un remaniement parcellaire, l’une ou l’autre catégorie se sentira lésée, car obligée de revoir son projet de vie.

Donc, un tel projet de PLQ risque d’être amené en justice jusqu’à que toutes les villas aient terminé leur cycle de vie, 30-40 ans après la rédaction du plan.

Une solution alternative serait de proposer des plans de quartier sans remaniements parcellaires. Un exemple dans ce sens est le plan proposé, en alternative au PLQ des Semailles, par les propriétaires concernés.

projet alternatif

Le plan alternatif (source image). Les volumes construits sont les mêmes que ceux proposés par le PLQ officiel, le seul changement est l’absence de remaniement parcellaire.

Dans un PLQ ainsi organisé, chaque propriétaire est libre de construire ou pas: s’il construit, il est obligé de construire 25% de logements sociaux, s’il construit pas, rien ne se passe.

Faisons une comparaison entre l’itinéraire des 2 PLQ.

PLQ avec remaniement parcellaire:

  • le plan est émis au moment T0
  • les propriétaires font recours contre le plan. Chaque propriétaire continue à faire recours jusqu’à la fin de son cycle de vie.
  • Les recours continuent jusqu’à que le cycle de vie de la dernière villa soit terminé. On est à T0+45 ans
  • Maintenant on peut construire: entre permis de construire, plans de détail, chantiers etc, on peut prendre jusqu’à 10 ans supplémentaires. On est à T0+55 ans.

Temps passé entre la rédaction du plan et les premières constructions: 45 ans
Temps passé entre la rédaction du plan et les dernières constructions: 55 ans

PLQ sans REMANIEMENT PARCELLAIRE:

  • le plan est émis au moment T0
  • Certains propriétaires  font recours contre le plan. Des autres pas.
  • Chaque recours peut être traité individuellement: vu qu’il ne fait pas trouver des accords impliquant tous les propriétaires, on peut traiter les recours assez vite. On pourrait aussi diviser les PLQ en plusieurs morceaux, et mettre en œuvre en priorité les plans concernant les propriétaires les plus désireux de construire.
  • Une fois les recours traités, les premiers propriétaires commencent à construire. On est à T0+10 ans.
  • Les propriétaires construisent chacun à son rythme: les héritiers commenceront juste après la fin du traitement des recours, les gens proches de la retraite suivront dans les 10-15 ans qui suivent, les familles commenceront à construire une fois les enfants partis de la maison. La transformation du quartier va continuer pendant le 45 ans qui suivent, et se stabilisera autour de T0+55, avec 90% des maisons construites (on peut dire qu’il y aura toujours 10% des propriétaires qui ne veulent pas construire en aucun cas).

Temps passé entre la rédaction du plan et les premières constructions: 10 ans
Temps passé entre la rédaction du plan et les dernières constructions: 55 ans

Donc, si on évite le remaniement parcellaire dans un PLQ, on peut arriver à construire avec 35 ans d’avance!

5 commentaires

  1. […] La plupart des terrains fournis par l’état ou la commune se trouvent dans des zones soumises à planification de détail (PLQ dans le canton de Genève, PPA dans le canton de Vaud), ce qui fait que un projet sur ces terrains prend énormément plus de temps (10 à 15 ans) que un projet sur un terrain non soumis à planification de détail (2 à 5 ans). Comme conséquence, les projets d’habitat à loyer modéré prennent plus de temps à se réaliser que les projets d’habitat spéculatif, ce qui produit une suroffre d’habitat spéculatif et une pénurie d’habitat à loyer modéré. (pour aller plus loin sur ce sujet, vous pouvez regarder ma série sur la densification ici: 1,2,3,4,5,6) […]

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