Pendant que David est à la recherche de son oncle Uriel, Mathieu et Stella font leur corvée en tant que serveurs au bar de l’hôtel.
Après toutes les années passées dans l’immobilier, Mathieu a un peu de peine à reprendre le rythme du service au bar. Ce n’est pas le cas de Stella, qui gère le service au tables et au bar avec beaucoup de déxtérité.
« Sacrée Stella » pense Mathieu en la regardant travailler. « Où elle se trouve, j’ai toujours l’impression que Stella soit chez elle! Dans le train, à l’hôtel, dans Clermont, et maintenant aussi ici au bar: partout où elle est, elle est toujours à l’aise! Je me sens tellement chanceux de partager ces moments avec elle…
…belle comme la lune
lumineuse comme les étoiles
un cadeau du ciel
tu m’as été envoyée
J’ai trouvé mon bonheur
lorsque je t’ai gagné
tu brilles comme mille soleils
tu as réjoui mon coeur… »
« T’as fini de révasser? » la voix de Stella le ramène à la réalité. « Dépêche-toi, car il y a des clients! »
Un groupe de soldats rentre dans le bar. Leur tenue mimétique et leur arme de service font contraste avec leur attitude plutôt décontractée.
« Serveurs! » les appelle un militaire qui a l’air d’être le chef. « ces garçons ont faim. Il nous faut des brochettes d’agneau et du thé mente pour 15! »
« Ok, c’est noté! » lui répond Stella, qui a vite pris la commande. « Kosher, Halal, végétarien ou typique auvergnat? »
« Halal: ceci est un bataillon musulman! Un bon repas halal pour tout le monde, car les garçons ont eu une nuit difficile! »
Stella sent que les soldat ont besoin de parler, et reste près d’eux pendant que Mathieu part dans la cuisine pour préparer la commande. « Qu’est-ce que vous est arrivé cette nuit? »
« Les troupes du sultan! » lui explique le chef. « On croyait qu’on s’en était libérés une fois pour toujours, mais à chaque fois on en trouve de nouveaux! Cette nuit, ils étaient à la Muraille de Chine: vous savez où c’est? »
« Non, je suis nouvelle ici. »
« Alors, si vous êtes nouvelle… La Muraille de Chine est un gros immeuble, vers St-Jacques, quartier musulman. Il y a pas mal de bons croyants par là: des gens qui travaillent dur, et qui essaient de reconstruire ici ce qu’ils ont perdu à St-Denis. Mais le Sultan n’accepte pas de perdre la mainmise sur ses sujets. Et pour ça, il envoie toujours des cellules salafites pour essayer de reconquerir les quartiers. Et à chaque fois, nous lui bottons le cul! »
« Donc, vous n’êtes pas les mêmes musulmans que ceux de St-Denis? » demande Mathieu, qui a fini de servir les plats à la troupe et qui s’est joint à la conversation.
« Surtout pas! » lui répond le militaire. « Ils sont salafites, tandis que nous sommes mazarites! Chez eux c’est bab-al-harb, tandis que chez nous c’est bab-al-salam: si c’était pour eux, ça serait la guerre tous les jours! »
« Et d’ou vient cette différence idéologique entre mazarites et salafites? » demande Stella.
« L’islam mazarite vient d’une dispute théologique que notre Imam Karim Nidal Sarraf a eu quand il était encore dans le 9-3, a propos de la descendance du Prophète (Paix en son Âme). Notre Imam disait que le Prophète (Paix en son Âme) avait une fille, Fatima Zahra. Elle a épousé Ali, cousin du Prophète (Paix en son Âme), qui lui a donné deux garçons, Hassan et Hussein, et deux filles, Zaynab et Oum Kaltoum. Chacun des quatre petits-enfants du Prophète (Paix en son Âme) s’est marié à son tour, en laissant une descendance, qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Donc, si on compte 14 siècles entre la période du Prophète (Paix en son Âme) et la notre, trois générations par siècle et une moyenne de 3-4 enfants par génération, aujourd’hui, il devrait y avoir sur terre 109 418 989 131 512 359 209 arrière-arrière-arrière-petits-enfants du Prophète (Paix en son Âme). Et vous savez ce que cela signifie? »
« Qu’est-ce que ça signifie? lui demande Mathieu.
« Ça signifie » répond le militaire « que tous – moi, vous deux, mes soldats, toute la polulation de l’Auvergne et du monde entier – nous sommes tous descendants du Prophète(Paix en son Âme)! Et, comme descendants du Prophète (Paix en son Âme), tout le monde merite notre respect. Vice-versa, le Sultan et tous les Salafites disent que seule une petite poignée de croyants méritent le Paradis, et que tous les autres ne méritent aucun respect. »
« Et qu’est-ce que s’est passé après cette dispute? » demande Mathieu.
« Après cette dispute, le Sultan a émis une Fatwa contre notre Imam Karim Nidal Sarraf, et notre imam, avec une poignée de ses fidèles, a quitté St-Denis pour venir ici en Auvergne, et fonder l’Islam Mazarite. Après, il y a eu la Guerre, et tout ce que vous connaissez bien, et l’Islam Mazarite est devenu une des quatre communautés fondatrices de la République d’Auvergne. Vice-versa, les Salafites sont bannis du territoire Auvergnat: quand nous en trouvons, comme cette nuit à la Muraille de Chine, nous les capturons, et nous les mettons direct dans le train pour Paris! »
Pendant que le militaire fait son discours, Sophie arrive dans le bar et rejoint le groupe.
« Ils vous embêtent pas, mes amis? »
« Non, bien au contraire! » répond le militaire. « On discutait de l’histoire de l’Islam mazarite, et quand je parle de ça, je pourrais en parler pendant des heures. »
« Alors, il faut que vous me la racontez à nouveau, car j’ai loupé toute la première partie » répond Sophie. Elle s’assoit à la table du militaire, et ils commencent à discuter. Et ils discutent pendant un bon moment.
Il est arrivé pour le soldats le moment de rentrer à la caserne. Sophie et le militaire échangent leur coordonnées respectives, et ils se saluent avec l’intention de se revoir dès que possible. La troupe sort du bar, et Sophie revient vers Mathieu et Stella.
« En tous cas, l’idée de servir au bar n’est pas mauvaise » dit Sophie à ses amis, avec un gros sourire. « On y fait des jolies rencontres! »